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Devoir de vacances : changer le monde en mots

Un garçon et une fille font leurs devoirs de vacances étendus sur un lit d'hôtel
Devoir de vacances

L’an passé, j’écrivais que le repos constitue un moment privilégié pour laisser le cerveau en jachère. Une terre trop labourée s’épuise, de même en va-t-il de notre terrain de jeu cérébral. Prendre des vacances ne signifie pas tomber en léthargie complète, mais s’amuser, se détendre et enrichir notre bagage d’expériences ludiques.


Surtout s’amuser


Pour ma part, j’ai mis de côté le projet de mon prochain roman qui me déçoit par le ton, le décor et les protagonistes qui ne répondent pas à mes ambitions. J’ai ouvert un carnet vierge dans lequel je compose des vers. Je ne les relis pas, je me laisse guider par l'inspiration sans m’imposer de but. Tranquille dans le jardin, j’attends les mots.


Je me suis aussi inscrite dans une chorale, moi qui ne possède qu’une voix ordinaire. Les pratiques hebdomadaires m’amènent à connaître de nouvelles personnes aux profils différents. Je collabore également à un exercice d’écriture à deux, m’étant abonnée à Paire littéraire (https://pairelitteraire.com/), une façon distrayante de bâtir un récit, une sorte d’improvisation en duo qui demande l’acceptation de l’autre, de ses propositions, de sa touche particulière. Ça change du mode solitaire de l’écriture et mène à des rendez-vous agréables, toujours insolites.


Insolite, je choisis ce terme à dessein en raison de sa ressemblance avec le mot solitaire. In-solite m’inspire l’espoir d’un contact qui me surprendra, qui me sortira de ma solitude. L’autre, qui n’est pas soi, me réservera des découvertes étonnantes : passé familial, enjeux, goûts spécifiques, situations heureuses vécues ou événements pénibles qu’il ou elle affronte.


Écrire est aussi un mouvement vers les autres


Quand on y réfléchit bien, ces activités s’apparentent à l’action d’écrire dont la nature superficielle ou profonde participe du mouvement vers les autres. Bien sûr, écrire pour soi semble un acte introspectif fermé, mais, en tant qu’exutoire de stress, de joie, de tristesse, d’agressivité, ou de quelque pulsion que ce soit, les mots s’extériorisent et s’exposent inévitablement au monde.


On ne peut pas prendre congé de l’écriture, car elle nous habite comme une obsession-compulsion. Durant l’été qui nous attire loin de nos tables de travail, pourquoi ne pas apporter un cahier de poche et s’en faire un allié pour un à-côté récréatif aux occupations estivales.


Pourquoi un calepin de notes ?


Matériel scolaire
carnets, cahiers et crayons

Un calepin pour décrire les rencontres effectuées comme procéderait un peintre avec le style qu’on aimera lui donner, classique, abstrait, figuratif, pointilliste, romantique, expressionniste.


Un calepin pour esquisser rapidement les gens que l’on croise au marché, dans la rue, au concert, au café, sans jugement, pour le plaisir d’observer, d’écouter et de reproduire. Un calepin pour y conserver des impressions fugaces, spontanées, pour relever les interactions entre les individus, les arrivées et les départs, les rapprochements et les ruptures, les conversations, les mots d’humour, les discussions à mots couverts, les échanges vifs et emportés, les altercations.


Surtout, ne pas tenter d’élaborer une histoire, un récit. Il s’agit simplement de rédiger un témoignage comme on le livrerait dans le box des témoins, devant un tribunal. Voici les faits : j’ai vu untel ou unetelle qui dormait sur un banc de parc. Il était habillé de telle manière, il paraissait dans tel état; j’ai aperçu une personne qui a posé ce geste qui a eu ces conséquences prévisibles ou imprévues; j’ai entendu ces paroles incongrues ou convenues, etc.


Expérimenter une vigie de son environnement pour brosser un portrait rapide des structures de la ville, d’un village, des éléments distinctifs d’un lieu à la montagne, à la campagne ou à la plage, pour se souvenir du caractère banal ou extraordinaire des habitants côtoyés, capturer des émotions, leurs nuances, leurs subtilités, des attitudes corporelles (cou, épaules, dos, mains, etc.).


Dans ce petit carnet que l’on noircira jusqu’à la dernière page, signaler les accents régionaux, étrangers, s’attarder aux mets que l’on goûte, aux odeurs qui nous entourent, saisir toutes les couleurs de l'existence pour accumuler un trésor d’idées. Nul doute qu’il servira au retour de cette période où la famille et les relations amicales nous sollicitent et nous écartent de nos visées d’écriture.


Ce carnet n’est pas


Ce carnet n’est pas destiné à expérimenter ou prendre des risques, mais à fixer le présent avec notre regard personnel, ce qui nous est significatif. Pas besoin de l'organiser avec des dates, un index. On se trouve à mille lieues des livres vendus en librairie qui incluent des fiches pour créer des héros, des intrigues, des listes pense-bête, et leur palette d’outils. Il ne se transformera pas non plus en journal, ce qui appartient à un genre tout autre. Sa forme est libre et ne prétend pas à la publication, comme les carnets d’auteurs célèbres.


Devoir de vacances déguisé


Cet exercice doit être perçu comme un devoir pour soi-même, pour se connecter à la vie, étincelle permanente de souffle littéraire. Comme l'exprimait Blaise Cendrars, écrivain suisse naturalisé français, « Je ne trempe pas ma plume dans un encrier mais dans la vie ». Cela permettra peut-être d’en développer une habitude des quatre saisons, tant mieux. Discret, le carnet deviendra un complice de tous les jours, un appendice indispensable.


« Les vrais alchimistes ne transforment pas le plomb en or, ils changent le monde en mots » - William H. Gass

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