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Le bon moment (le bon timing) : tout est relatif !

L’Office québécois de la langue française rappelle que le mot timing est un anglicisme qui devrait être remplacé par l’expression « moment propice », à l’exemple d’une personne qui sait saisir une occasion et agit au bon moment.


On peut dire qu’il y a un flou artistique dans cette expression.


Quant à moi, le moment propice tient de la théorie de la relativité. Il est prouvé que la lumière se déplace dans le vide à une vitesse constante alors que le temps varie selon la vitesse à laquelle on se déplace (une grande vitesse « ralentit » le temps tandis qu’une faible gravité « l’accélère »). L’élasticité du temps se vérifie à chaque instant. La douleur rend le moment éternel, le plaisir lui donne la durée d’une étoile filante.


Pour les auteurs et autrices[i], le bon moment a beaucoup d’importance. Il décidera du succès d’un livre, de la possibilité de vivre ou non de ce métier. Le bon moment se présente sous diverses facettes, avec ses défis :

  • Un enjeu de société (croissance du nombre de sectes, de la population itinérante, de l’immigration clandestine, etc.) : il peut valoir son pesant d’or si l’écrivain.e. n’en traite pas au même moment que des milliers d’autres.

  • Un événement (cataclysme, élection controversée, acte terroriste, etc.) : il faut avoir la plume rapide puisque quantité d’auteurs et d’autrices aspirent à occuper le premier rang des livres publiés sur le sujet de l'heure.

  • Un progrès de la pensée humaine (traitement des aînés, des violences sexuelles, des minorités visibles, etc.) : ici, la difficulté réside dans le danger d’appropriation puisque les personnes concernées sont certainement mieux placées pour décrire leur situation.

  • Un progrès technologique ou médical : cette avenue n’est pas facile à choisir. Pour utiliser une avancée dans ces domaines et les couvrir avec une apparence de crédibilité, cela nécessite de bonnes sources de référence et une capacité de vulgarisation.

  • Un appétit des lecteurs pour un genre, comme le roman historique, ou pour une forme d’écriture qui finit par créer un mouvement littéraire propre à une époque, un siècle.

  • Un mal-être généralisé à l’échelle d’un pays (charge mentale, dépression, anxiété, etc.) : bardée de diplômes et pourvue de longues années de pratiques professionnelles, la concurrence peut y être sérieuse.

  • La nouveauté : être la première personne à s’aventurer sur un sujet original, inusité, inédit n’est pas à la portée de tout le monde. Il faut d’abord en avoir eu l’intuition et posséder une plume assez solide pour apprivoiser le lectorat.

  • Un décès : Les ventes des livres d’un.e écrivain.e pourront connaître une soudaine popularité en fonction du type de mort (accident tragique, suicide, etc.). Malgré tout, le contexte du décès peut nuire. Sur un plateau de télévision, Jean d’Ormesson a déclaré :

« Vous savez, c’est très mauvais pour un écrivain de mourir en même temps que Piaf. Piaf a pris toute la lumière pour elle et on n’a pas parlé beaucoup de Cocteau. »


Gare aux écrits qu’on laisse derrière soi, car comment évaluer la manière dont seront jugés ces textes dans le futur ?


Quelle malédiction que de consacrer des années à un ouvrage et se rendre compte qu’un auteur archi connu lance une œuvre marquante sur le même thème et mobilisera toute l’attention !


Comme pour tout produit mis en marché, existe-t-il un moment de prédilection pour accrocher l’intérêt d’un éditeur, d’un libraire, des médias, des lecteurs ? Faut-il guetter le moment où l’intérêt amorce une courbe ascendante et publier avant qu’elle ne s’envole vers un marché saturé ?

Il suffit d’un peu de talent et de beaucoup travailler affirme quantité d’experts. Mais cette combinaison et est très répandue. Force est d’admettre que ce n’est pas tout.


Une autre idée reçue : « Tout vient à point à qui sait attendre. » On voudrait arrêter le temps pour qu’il serve notre chance, pour sortir de l’impasse du trop tôt, trop tard. Dans l’attente, plusieurs actions peuvent être considérées : s’organiser, travailler régulièrement, alimenter le feu, lire, fréquenter le milieu, envoyer poèmes et nouvelles dans des revues en se croisant les doigts.


Je me suis déjà posé la question futile visant le bon moment pour commencer ou terminer l’écriture d’un livre (début, milieu ou fin d’année ?). D’une part, la décision d’entreprendre l’écriture ou de conclure un projet ne s’attache à une date que pour cesser de procrastiner. D’autre part, l’opinion selon laquelle il faut s’asseoir tous les jours devant son bureau aux mêmes heures ne rencontre pas l’adhésion de tous. Voici ce qu’en pensait Charles Lutwidge Dodgson (Lewis Caroll)[ii] :


« Je ne puis déclencher mes facultés d’invention ainsi qu’un mouvement d’horlogerie que l’on remonte volontairement : et je ne crois pas qu’aucun écrit original […] fut jamais composé ainsi. Si vous prenez place, sans passion et sans inspiration, dans votre fauteuil, et si vous arrivez à vous convaincre d’écrire durant un certain nombre d’heures, vous produirez tout simplement […] du “délayage”, et c’est, à mon sens, l’une des plus détestables innovations de la littérature moderne ».


Je suis aussi portée à croire que le rythme personnel devrait être davantage conseillé. Je ne suis ni de la nuit ni du matin. Mon cerveau ne fonctionne à plein régime que l’après-midi. Pourquoi me forcer à m’asseoir devant mon écran aux petites heures alors que la brume intracrânienne fige toute mon activité cérébrale ? J’ai essayé en vain.


Le bon moment est une expression qui contient en elle-même une ambiguïté certaine. Comme la création de la vie dans l’univers, elle comporte son lot de hasard. On voudrait que le bon moment représente un but en soi, comme si nous possédions le pouvoir de l’engendrer. Pourtant, il arrive que des opportunités inattendues, une circonstance particulière, mettent en scène le moment propice, le bon timing.


Comme en amour, être au bon moment et avec la bonne personne relève d’une conjecture mystérieuse. Saura-t-on jamais programmer un robot capable d’indiquer le moment exact dont il s’agit ?

[i] Note sur le mot « autrice » : LORENZO, Sandra. Autrice, le féminin qui gênait tant l’Académie française est tout sauf un néologisme. https://www.huffingtonpost.fr/2019/02/28/autrice-le-feminin-qui-genait-tant-lacademie-francaise-est-tout-sauf-un-neologisme_a_23680379/ Consulté le 25 juillet 2022. Première utilisation du mot « autrice » au XVIe siècle. À la création de l’Académie française, les académiciens ont refusé d’envisager que le mot auteur puisse admettre le féminin et a réaffirmé en1891 que le métier ne convenait pas aux femmes.

[ii] CARROLL, Lewis, Tout Alice, GF Flammarion, Paris, 1979, p. 400

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